LA QUESTION DE L' HYPERTYPE
La Fédération Cynologique Internationale semble animée par le désir d'enrayer la tendance observée chez de nombreux éleveurs de plusieurs races de sélectionner en recherchant des formes hypertypées.
La Société Centrale Canine de France a relayé cet objectif auprès de tous les clubs de races, dont le nôtre, le Slag.
Mais qu'entend-on par hypertype pour les races canines ?
La plupart des races ne sont-elles pas issues, au moyen de la sélection, d'une recherche à partir d'une "soupe génétique originelle" pour produire des sujets qui satisfassent au mieux les exigences d'ordre technique, ou économique, ou esthétique, et autres, émises par les sociétés humaines, maîtresses du jeu de la domestication ?
Cela est bien vrai, et cette histoire est très ancienne, elle remonte aux prémisses de la domestication, quand l'homme, concurrent des canidés sauvages (tels le loup) pour la chasse, est parvenu à en faire des partenaires. C'était, selon les endroits de la planète et les sociétés, il y a entre cinq et quinze mille ans...
Le résultat, nous le connaissons : plusieurs centaines de races ont vu leurs types érigés, statufiés, fossilisés en standards officiels. Cela est juste, bien légitime, fruit de la vanité humaine, avide de propriété et de prestige.
C'est alors que sont intervenues les déviations, les améliorations, et les perversions. Pour des raisons multiples. Enumérons-en quelques unes seulement :
- la recherche d'une meilleure efficacité technique : un chien plus rapide, ou plus agressif, ou plus résistant au froid, ou capable de s'enfoncer dans les terriers, ou de tracter un traineau ou une remorque, ou de guider un aveugle ou un policier, ou, ou...
- la satisfaction d'exigences d'ordre esthétique, et cela est tellement variable selon les époques, les cultures. Bref, c'est la mode qui impose ses caprices. Le marché de l'animal de compagnie en est le miroir tristement éloquent.
- la recherche de la nouveauté, ou du "plus-plus-plus" en vue de gravir les podiums et de remporter les titres, les coupes et les breloques. De figurer en bonne place sur les magazines,
- et de vendre mieux et plus cher les produits de son élevage...
L'outil premier et essentiel de cette sélection devenue aberrante c'est la consanguinité.
Grâce à elle on n'a pas de surprise, on reproduit et on renforce ce qu'on détient déjà avec les géniteurs.
Et il est si facile d'utiliser l'étalon dont on dispose à la maison, ou même dont on a conservé des paillettes dans le congélateur...
On aboutit alors à des perversions bien dommageables pour nos fidèles compagnons, car elles portent atteinte à leur santé, à leur intégrité physique et psychique, bref à leur bien-être animal.
Et ici le cortège des dégâts est éloquent, selon les races, et les objectifs des éleveurs "sélectionneurs". Citons en quelques uns, bien connus :
- des bergers au cul bas, atteints par exemple de la dysplasie de la hanche,
- des miniatures sans poil, ou à la toison gênante, ou aux membres fragiles comme des allumettes,
- des lignées porteuses de déformations stabilisées, telle la tête du Cavalier King Charles, source d'horribles douleurs,
- des déficiences sensorielles et cutanées, souvent associées aux robes "nouvelles", porteuses du gène de la dilution,
- sans parler des troubles du comportement, du type agressivité non socialisable...
Ce catalogue des méfaits de la bêtise humaine que supportent nos animaux de compagnie serait une longue litanie. Et tant d'autres espèces domestiques les subissent aussi, telles les poules et les vaches.
Et pour notre Lévrier de l'Azawakh, qu'en est-il ?
Observons que depuis la première introduction de ces chiens en Europe en 1968, une diversité des types a pu être maintenue, ce qui est un gage prometteur pour l'avenir, évitant ainsi la proximité d'un cul-de -sac génétique.
Mais on peut regretter que certains juges préfèrent encore placer sur le haut des podiums des sujets à la finesse extrême et à la cage thoracique réduite, des "poitrinettes" pourrait-on dire.
C'est oublier que l'Azawakh-Oska est un coureur de fond, capable de poursuivre une proie rapide (gazelle) sur des kilomètres, capable de se battre et de tuer, avec des mâchoires puissantes. Il est aujourd'hui encore utilisé par les éleveurs nomades pour chasser les hyènes et les chacals, puisque les lions et les guépards ont été détruits.
Les top-modèles que certains éleveurs ont sélectionnés ressemblent plutôt aux mannequins anorexiques des défilés de Karl Lagerfeld; ils peuvent être primés par certains juges et amateurs, mais ils devront être considérés comme déviants, symptômes de l'hypertype que la FCI veut écarter.
Cette préoccupation a conduit le professeur Raymond Triquet, l'éminent spécialiste de la rédaction des standards, à mentionner parmi les "défauts entraînant l'exclusion" de la version du standard dont il avait la charge de finaliser la révision, "l'extrême finesse générale et la cage thoracique réduite". Ce qui relève bien d'une forme d'hypertype, pour un chasseur du Sahara.
Bien entendu de nombreux autres points figurent dans cette rubrique du standard pour guider le travail des éleveurs et des juges.
Ce texte du standard ainsi révisé devrait être promulgué ce mois-ci par la FCI.
Le professeur Triquet a longuement analysé dans ses articles et ouvrages cette déviance de l'élevage canin qu'est la recherche de l'hypertype.
Récemment, il me confiait sous forme de boutade sa solution imparable : "il suffirait d'abolir la notion d'étalons recommandés, et de supprimer -dans les expositions- les classements et les titres !"
Le vieux scientifique ne renie pas son passé, mais son humour suggère d'autres voies à envisager, sans trop attendre ni différer les remèdes indispensables...
Quant au professeur Bernard Denis, il conseille, lui aussi, pour éviter ou corriger les effets néfastes de la consanguinité, d'utiliser tous les étalons dont nous disposons. Dans la conformité au standard, bien entendu...
Gervais Coppé
20 novembre 2014
p.s. les lecteurs et amis de ce blog sont invités à réagir à ce texte par leurs commentaires, en vue d'enrichir cette contribution seulement esquissée. Merci !
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