Azawakh-Oska

Azawakh-Oska

LE LÉVRIER DANS LES SOCIÉTÉS DU SAHARA


LE BERCEAU DE LA RACE

LE BERCEAU DE LA RACE
« LÉVRIER DE L’ AZAWAKH – OSKA »
témoignage de Gervais Coppé


Dans les années soixante, au Mali, l’indépendance récemment accordée fut secouée au nord par une insurrection des élites touarègues contre le nouveau pouvoir politique, contrôlé par les fonctionnaires issus des ethnies noires du sud.


Après avoir dominé l’espace politique du sahel pendant des siècles, les nomades guerriers vécurent une sorte de revanche historique de la part de leurs anciens serviteurs devenus les maîtres de la république.
Parmi les privilèges que les nouveaux chefs légaux s’octroyaient en dominant les centres administratifs de la « zone nomade » figuraient : les prélèvements abusifs de bétail (au titre de l’impôt), les mariages arrangés avec les jeunes femmes touarègues, et aussi le prélèvement des beaux chiens, appelés par l’administration noire « lévriers
de Ménaka », chef-lieu administratif du secteur malien de l’Azawakh.


Tous les grands notables du sud se faisaient prélever et convoyer ces chiens, qui devenaient, en complément des belles épouses et concubines originaires du nord, des « éléments de blason » pour les nouveaux détenteurs du pouvoir.  Le chef de l’Etat, Modibo Kéita, chargea le gouverneur de la région de Gao de lui trouver un très beau «chien de Ménaka », qui coûta le prix de quatre chameaux en compensation. C’était à la fin de 1967. Ceci n’est pas un ragot : le gouverneur de Gao était mon voisin et ami.


C’est dans cette situation particulière que les rares européens présents au nord du Mali (à Gao en particulier) firent connaissance avec ces chiens, appelés par eux sloughis.  Un timbre-poste fut même émis, qui représentait le « lévrier de Ménaka ».
Les diplomates étrangers en poste à Bamako passaient commande aux transporteurs allant vers ce lointain nord-est.

C’est ainsi que l’ambassadeur de Yougoslavie demanda à mon ami Michel Doche (un Français installé à Gao) de trouver un beau couple pour son patron de président le maréchal Tito, dont l’intérêt cynophilique était
bien connu.


En ces années d’avant la grande sécheresse il était aisé de trouver de beaux sujets dans la zone largement étendue des versants de la vallée de l’Azawakh (environ 60 000 km2), tant le pastoralisme était encore bien vivant, et les éleveurs nomades des acteurs économiques performants, au coeur des sociétés du sahel.   Aujourd’hui, après ces avatars tragiques, trop d’éleveurs nomades sont devenus des parias, dépossédés de leurs terroirs pastoraux, d’une grande partie de leur cheptel, et donc de leur autonomie.


Le nom de ce chien :
En langue touarègue, le nom générique du chien est « idi », alors que seul le lévrier d’un type excellent est dénommé « oska ». Pour les linguistes, cette racine berbère est très ancienne (plus de 2000 ans), et on lui trouve des formes similaires dans le lexique de certaines langues anciennes du Croissant Fertile.
Chez les pasteurs qui ne sont pas versés dans la chasse traditionnelle, et dont le parler a perdu de sa richesse, le lévrier est appelé « idi-n-illéli » (littéralement : le chien noble)..
Aujourd’hui, chez les nomades touaregs vivant loin de l’Azawakh, tels les groupes constitués à l’époque coloniale dans le Gourma de la Haute-Volta lors de l’affranchissement des iklan (esclaves), le seul nom connu est « idi ».


En 1981, la FCI n’avait pas cru bon de reconnaître et de valider notre standard de la race sous le vocable « oska ». Mais il est vrai que la thèse de François Roussel, qui n’est pas ethnologue ni linguiste, mais vétérinaire, ne tranchait pas entre les diverses appellations usitées à l’époque.  A défaut de puiser dans le lexique de la langue locale, la FCI a désigné ce chien du toponyme de son aire de vie actuelle : l’Azawakh ;
qui serait son linceul plutôt que son berceau…
Ce choix était un compromis plutôt discutable.


Dans les temps anciens :
L’étude du peuplement du Sahara dans la dimension historique révèle qu’avant le cycle long de l’assèchement (amorcé il y a plus de deux millénaires) le Sahara central était peuplé simultanément par trois groupes ethniques et culturels différents : des blancs, ancêtres des Berbères, des noirs, qu’on peut qualifier de proto-Peuls au vu de leurs parures et de leurs rites, et des Abyssins ou Nilotiques, gravitant dans l’ère culturelle de l’Egypte pharaonique.


Ceci nous est révélé sans ambages par l’art pariétal des milliers de sites de gravures et peintures laissés au Tassili-n-Ajjer, au Tadrart, au Fezzan et au Tibesti, par ces pasteurs-chasseurs parcourant les savanes du Sahara avant qu’il ne devînt un désert. Les traces des parois nous révèlent deux types de chiens : un lévrier au fouet souvent relevé, disons l’archétype de l’Oska d’aujourd’hui, et un chien plus petit, aux oreilles dressées, de type tesem ou basenji.


Mais depuis ces temps lointains l’aridité croissante a provoqué la migration progressive de ces pasteurs vers les rivages plus hospitaliers du sud, qu’en Arabe on appelle le « sahel » (littéralement le rivage).     La vallée de l’Azawakh, une zone inhabitée, riche en ressources fourragères et en faune sauvage, a fourni à ces chasseurs-éleveurs une terre d’accueil non convoitée par les agriculteurs noirs. Là où tout récemment Al Qaïda est venu installer ses refuges inexpugnables…

 

 

Que peut faire la cynophilie internationale devant cette situation dégradée ?
L’affolement des mouvements migratoires causés par l’évolution climatique et économique, accentués par les troubles sociaux et politiques, cela a provoqué un brassage génétique des populations animales : bovins, ovins-caprins et chiens ont perdu leur typicité territoriale. Les vétérinaires et zootechniciens des années trente n’y trouveraient plus leurs repères, tant les importations et croisements ont changé ce paysage-là aussi.


Le « beau » lévrier (oska) qui a été reconnu par la FCI à partir des importations et de la sélection opérées il y a déjà plus de quatre décennies , ce beau type existe toujours, bien que raréfié, mais il est entretenu par des populations marginalisées, à savoir quelques groupes  de Dahoussahaqs et de Touaregs Imrad, transhumant dans la partie orientale de l’Azawakh, entre Menaka et InGall.


Mais des formes bâtardes, aux rémanences parfois surprenantes, se retrouvent dans des villages du Sahel, depuis le Gourma bourkinais et malien, jusqu’aux confins de la Mauritanie, vivant auprès de paysans qui ne sont pas des chasseurs de tradition, et ignorent la sélection dans  l’élevage.


Que ces types variés de chiens fassent l’objet d’une reconnaissance de la FCI sous le label assez flou de « Idi du Sahel », cette procédure administrative serait un moyen de préserver la relique vivante du trésor naturel et culturel de l’antiquité saharienne qu’est le « Lévrier de l’Azawakh-Oska ».


   Grézels, juin 2011                                     Gervais Coppé
                                                       Sociologue pastoraliste
                                            Membre de la Société des Africanistes

 

 

 

 

 


18/11/2011
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"Peintures et gravures d'avant les Pharaons, du Sahara au Nil"

Editions Soleb-Fayard
 
par Jean-Loïc Le Quellec, 
ethnologue et anthropologue
spécialiste d'art rupestre saharien
 
 


30/05/2011
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LA DIVERSITE DES TYPES CANINS DANS L'ESPACE SAHARIEN

 

 

 

 

 

A ce jour, la cynophilie mondiale a reconnu trois "races" de lévriers dans l'espace saharien : deux ayant une existence in situ très ancienne -le Pharaon hound et le lévrier de l'Azawakh- et une troisième dont l'origine serait asiatique, le Sloughi.

Mais sur le terrain, on rencontre une multiplicité de types, depuis la Mauritanie jusqu'à la Nubie. 


A la différence d'espèces sauvages comme les félidés et divers canidés (chacal, hyène, lycaon) tous les types de canins sont issus de la domestication.  Il n'existe pas d' "azawakhs sauvages" au sahel, contrairement à une fable qui a pu être colportée il y a quelques années.


Aussi, parmi les types rencontrés aujourd'hui, certains ont-ils été façonnés et entretenus par des sociétés d'éleveurs-chasseurs, c'est le cas du Sloughi et le l'Azawakh-Oska; alors que d'autres déclinent une large palette de modèles, au gré du soin et du goût de leurs éleveurs, mais aussi et surtout en fonction des saillies spontanées et non-contrôlées. 

Ce qui nous a donné sur la vaste étendue des longitudes du sahel un panel de morphologies et de couleurs très étendu. Pour l'heure, une seule race a été reconnue par la FCI, mais il serait possible que d'autres le soient dans l'avenir, si toutefois l'homogénéité d'un stock canin est établie, ce qui n'est pas évident; nous pensons ici à la situation de "l'Idi du Sahel".


Laissons à part le Sloughi; et examinons les traces de chiens gravées et peintes sur les parois rocheuses du Sahara par les populations qui s'y sont succédé. On peut caractériser deux types principaux : un animal levretté à oreilles tombantes, de grand format, et un modèle plus réduit à oreilles dressées, qui fait penser au Tesem des anciens Egyptiens. Quand on est mû par une fibre un brin cynophilique, on croit trouver là les ancêtres du Pharaon-hound (voire une parenté avec le Basenji...) et de l'Azawakh-Oska.

L'iconographie est abondante, depuis les reliefs et les peintures de l'épopée pharaonique jusqu'aux centaines de sites d'art pariétal dans tout le Sahara, et aussi jusqu'au Yémen.

 

La gravure ici reproduite montre les deux types associés, juxtaposés. Ce qui laisse supposer la simultanéité de leur existence. Et non pas leur succession, comme une certaine vision évolutionniste pouvait nous le laisser penser. La main qui a gravé ces profils est celle d'un éleveur avisé et fin observateur, puisqu'il a su différencier une femelle allaitante...et les deux portent un collier.

 

Contemplant ce tableau, on se trouve transporté dans le Tassili des Ajjer, où les deux types co-existent encore. C'est ce que Jean-Louis Grünheid et moi avons pu constater de nos yeux, en 1999-2000.

 

Surprise, donc : comment deux types canins aussi différents peuvent-ils cohabiter et se perpétuer, sans se diluer dans le croisement, le mixage ?  On peut supposer que c'est ici l'apport original de la culture des peuples pasteurs, qui ont le souci de guider et contrôler les espèces qu'ils ont domestiquées.

 

Cette co-exitence de plusieurs sociétés dans un même espace est analysée et illustrée par Jean-Loïc Le Quellec, l'éminent spécialiste actuel de l'art rupestre saharien. Contredisant ses prédecesseurs, M. Le Quellec affirme la cohabitation dans le Sahara néolithique de trois populations humaines différentes:

- des éleveurs-chasseurs noirs, maîtres de bovins, dont la parure et la gesture font penser aux Peuls de notre ère;

- des gens de type abyssin (éthiopien pourrait-on dire);

- et une population blanche, des proto-Berbères semblerait-il.

 

Pour Jean-Loïc Le Quellec, ces trois groupes et leurs cultures ont circulé sur le continent, d'est en ouest, tout en se maintenant dans leur diversité, même s'il apparaît une certaine hégémonie de la culture nilotique. Ce qui confirmerait en partie la théorie de Cheikh Anta Diop sur la "parenté entre les nations nègres et l'Egypte antique".


14/04/2011
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LA SITUATION DES HUMAINS DANS LA VALLÉE DE L'AZAWAKH

 

Sécheresse, famine, exode, mort du cheptel; mais aussi révolte, répression, guérilla, enlèvements, ces termes ont été trop souvent utilisés pour décrire la situation dans cette région d'Afrique.

Sagissant de l'état de l'écosystème, des réalités économiques, mais aussi du fonctionnement de la société, et du pouvoir politique qui contrôle les gens, le vocabulaire recourt hélas au superlatif et à la tonalité tragique.

 

A l'aube de l'indépendance, en 1963, au Mali, le pays touareg s'était insurgé contre l'administration aux mains des ethnies noires du sud, qui affichait aussi des vélléités de socialisme. Cette rébellion dura deux ans, elle fut matée par l'armée (qui recourut aussi à l'empoisonnement des puits) et prolongée par une administration militaire musclée et l'exil forcé de l'élite de la région.

 

En 1980, Kadhafi lança un appel au soulèvement des jeunes touaregs contre leurs états oppresseurs, et il les enrôla dans la légion islamique, pour les envoyer se battre au Tchad, au Liban, et plus tard en Afghanistan.  Retour de ces périples initiatiques, ces jeunes instruits mais au chômage  -d'où le néologisme d'ishoumar qui les désigne-  reprirent dans les années 90 la lutte armée de leurs aînés, au Niger puis au Mali. Avec la revendication d'une autonomie régionale pour l'administration et la gestion des ressources. Ce qui fut obtenu au Mali avec la création de nouvelles entités co-gérées par l'État et les élus locaux. Mais pas au Niger, où le pactole minier (uranium, pétrole) encourage les autorités de Niamey à refuser le partage du gateau.

 

Les médiations successives de puissances étrangères ont pu difficilement éteindre ces foyers, qui étaient ranimés par des petits groupes d'allégeance familiale, disposant des armes abondantes dans la région, où il est si facile de couper les routes.

 

Aux yeux des Touaregs du Niger l'enjeu des ressources minières désigne comme leurs adversaires la France et la Chine alliées au pouvoir de Niamey. Cette situation serait probablement négociable, mais un partenaire invisible a déployé ses filets sur le Sahel : la mouvance musulmane wahabite (depuis plusieurs décennies) renforcée par son récent bras armé qu'est Al Qaïda pour le Maghreb Islamique (AQMI). Et ce nouveau protagoniste prend les Touaregs en otages, parlant en leur nom, accentuant leurs revendications, ne trouvant certes que de rares concours parmi eux, mais s'emparant de la manne des divers trafics sahariens bien lucratifs : les narcotiques, les migrants clandestins, les armes, les cigarettes...

 

La vallée de l'Azawakh est devenue une base de repli quasi inexpugnable pour les terroristes islamistes. C'est là où ils viennent cacher, en les dispersant, leurs proies, tels les touristes allemands capturés en Algérie, le pauvre Germaneau, les experts d'Areva, les deux jeunes Français de Niamey, et d'autres dont la presse n'a pas parlé.

 

Pour la population nomade et celle des bourgades, cette situation est catastrophique. Après une longue sécheresse qui avait laminé le cheptel en voie de reconstitution, et une saison des pluies 2010 ravageuse par sa violence, la chape de plomb du terrorisme asphyxie le pays en l'enfermant telle une citadelle assiégée: il est risqué de se déplacer, périlleux de faire circuler les marchandises, l'approvisionnement en denrées vitales est compromis, l'échange même élémentaire est dangereux, les soins de santé interdits. Et le pays est fermé aux étrangers.

 

Dans cette situation tragique il paraît indécent et même obscène de se soucier du cheptel canin, même si pour les Dahoussahaqs, derniers éleveurs-chasseurs, l'entretien et la survie des membres de la famille requiert la même attention s'agissant des aînés, des enfants et de leurs chiens de chasse oskas.   Dans ce huis clos, on peut toutefois par moments avoir la chance de joindre au téléphone des amis résidant en ville;  par contre nos amis nomades sont isolés dans le silence de leur désert... et jusque quand ?

 

Jadis, le vocable "azawakh" n'était connu que sur les cartes de géographie, et par les spécialistes d'élevage, pour qui il désignait une race bovine bien adaptée, performante, et "belle", oui, splendide.  Depuis le début de l'insurrection des années 90, le terme est associé par les médias à l'identité militante des Touaregs : "Front de Libération de l'Azawakh", et autres déclinaisons...  Mais aujourd'hui, la vallée de l'Azawakh est célébrée pour un autre titre : devenue un sanctuaire du terrorisme islamiste.

Malgré et en dépit de ses hommes, de ses vaches, et de ses fameux chiens, hélas !


02/03/2011
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L' AZAWAKH-OSKA ET LES AUTRES LÉVRIERS D'AFRIQUE

 

Dans l'espèce canine , les souches qui sont les mieux adaptées aux
déserts et aux steppes présentent une morphologie commune à tous les
lévriers, pour satisfaire à la nécessité de parcourir de grands
espaces, de capturer des proies rapides, et de résister à l'aridité
et aux écarts de température.
C'est le lot de tous les cheptels de chiens lévriers répartis de
l'Adrar mauritanien jusqu'au Turkestan chinois.
 
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En Afrique sahélo-saharienne, plusieurs types de lévriers existent,
liés à des populations d'éleveurs-chasseurs nomades, qui les ont
élevés et façonnés selon leurs besoins et leurs goûts esthétiques
depuis des millénaires.
A l'origine, ces chiens rapides étaient des concurrents pour nos
ancêtres chasseurs.  Le génie de l'homme a été d'en faire des
partenaires pour la chasse : ainsi débuta la domestication...
Les témoignages des explorateurs puis des administrateurs coloniaux
ont identifié des zones géographiques et humaines possédant des types
de lévriers relativement homogènes.  C'est ce que traduit la première
carte.




 
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La seconde carte représente la zone pastorale que les nomades
touaregs et dahoussahaqs appellent "Azawakh",  en fait les deux
versants largement étendus d'une vallée sèche ainsi dénommée par les
nomades, et qui, plus au sud, est appelée Dallol Bosso par les Peuls,
avant de rejoindre le fleuve Niger.
Cet ancien cours supérieur du fleuve Niger (à l'époque où le Sahara
était humide) prenait sa source dans le massif de l'Aïr, une zone où
l'on exploite aujourd'hui des ressources minières, dont l'uranium et
le charbon.
Pour les diverses ethnies nomades qui parcourent cet espace,  le nom
Azawakh réveille dans la mémoire collective les souvenirs d'une
existence paradisiaque : des pâturages abondants après la saison des
pluies, une faune abondante pour la chasse (antilopes, gazelles,
autruches, outardes) et la tranquillité grâce à l'impossibilité pour
les sédentaires cultivateurs de venir s'y fixer.  Ces images du passé
sont hélas quasi révolues.

15/02/2011
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