Azawakh-Oska

Azawakh-Oska

L'ÉLABORATION DU STANDARD NE FUT PAS UN LONG FLEUVE TRANQUILLE !

En feuilletant mes archives "Oska", qui me baladent dans quatre décennies de ma vie, je réalise à quel point la vision que nous avons eue de nos compagnons a été fluctuante, ressemblant au profil d'un cours d'eau, alternant le jaillissement, le cours torrentueux, l'étal apaisé, les ramifications vers des cours d'eau voisins, les cataractes, la retenue, voire l'apparente disparition, mais aussi les prélèvements et le détournement; et puis le gonflement, l'affirmation de son existence, et la reconnaissance par les riverains.

Cette métaphore du fleuve, nous allons l'illustrer par quelques scènes et discussions de cette histoire, puisées dans notre mémoire, en ordre aléatoire.

 

En 1970, quand fut relancée l'activité du Club du Sloughi, sous la présidence de Charles Duconte, et avec Jean-Marie Devillard aux manettes du secrétariat, le premier couple reproducteur (R'éhéouel et Reylane) fut inscrit au LOF comme Sloughi.  R'éhéouel fut même inscrit sur la liste des étalons recommandés, et qualifié d'hyper-sloughi.

Mais les connaisseurs du sloughi de l'époque étaient un peu gênés par le type de ce chien, sa finesse, et les balzanes. M. Devillard et d'autres personnes furent d'avis de le garder en réserve pour la retrempe du sloughi, et d'envisager à terme la création d'une variété appelée sloughi touareg. Ce qui n'empêcha pas durant quelques années de croiser sloughi et oska, et de supprimer à la naissance les chiots ayant une panachure généreuse.

 

A ce moment, après 1970, arrivèrent d'autres sujets en provenance de la vallée de l'Azawakh, importés par les Parigi, puis par Chaventré, et en Yougoslavie le couple prélevé à Ménaka par Michel Doche pour être offert au maréchal Tito; ce qui a donné la lignée d'Europe centrale.

 

En France, au sein du club, la discussion allait bon train. Nos chiens furent mis en réserve du LOF, et nous sommes allés chercher de l'information auprès de diverses sources :

- auprès d'Henri Lhote, au Musée de l'Homme, pour s'assurer de l'identité de ce chien et des modèles représentés sur les parois du Tassili des Ajjer, datées de l'époque bovidienne (3500 av.J.C.);

- auprès de Pierre Capron de Caprona, linguiste au CERN de Genève, qui mit à notre disposition un riche catalogue de citations attestant la présence du lévrier dans les langues anciennes d'Afrique et du proche orient;

- et auprès de Xavier Przezdziecki, dont l'intérêt et l'érudition furent une source de longues discussions.

Mais M. Przezdziecki fut réticent à reconnaître, dans un premier temps, l'origine africaine, saharienne, de ce chien, s'en tenant à l'origine asiatique du sloughi; l'oska étant pour lui une forme dérivée (bâtarde) du sloughi.

 

Persuadés de l'identité propre de ce chien, nous avons alors milité pour la reconnaissance de la race "Lévrier touareg (Oska)", et créé à cette fin un club (régi par la loi de 1901) associant Mazel, Parigi, Chaventré, Vannier, et François Roussel qui est intervenu alors en préparant sa thèse de doctorat vétérinaire sous la direction du professeur Queinnec. C'était en 1973.

 

Le travail de Roussel a été une base scientifique de référence, utilisée pour le dossier que nous avons ensuite présenté à la FCI. Mais cette thèse est un travail mené rapidement par un étudiant, en vue d'obtenir son habilitation professionnelle. Elle a pu nous fournir des éléments explicatifs d'ordre génétique, mais son travail d'investigation préparatoire a laissé des lacunes sur les sociétés humaines qui ont façonné ce stock canin.

 

Un premier standard a donc été rédigé par François Roussel, avec la contribution de notre club, et de Bruno Lamarche, un naturaliste ami des Parigi, qui fit de nombreuses missions de terrain au nord du Mali.

 

Quel nom donner à cette "nouvelle" race canine ? Roussel avait bien posé dans sa thèse la palette des noms possibles, mais finalement la F.C.I. a préféré abandonner la référence à un groupe humain et ne tenir compte que de la référence géographique actuelle (en 1970) : la vallée de l'Azawakh.

 

Cette première version du standard a permis à nos compagnons de sortir de l'ombre, de la clandestinité administrative, mais nous lui avons trouvé dès son adoption des défauts et des carences :

- l'origine socio-géographique de cette race n'était pas rapportée, ou en des termes flous et faux;

- le terme Oska, parfaitement pertinent et univoque dans la langue touarègue n'était pas cité;

- la robe décrivait les six points blancs obligatoires, mais pas en les considérant comme l'expression nécessairement variable de la panachure irlandaise (le gène S.i.), laissant place alors à un certain fétichisme esthétisant, qui a permis ensuite une dérive coloromaniaque;

-et la bringeure n'était pas acceptée. On dit que cet ostracisme est dû au juge Lelong, qui voulait éviter la confusion avec le galgo et le sloughi, qui eux peuvent être bringés...Cette erreur a pénalisé une partie du cheptel pendant vingt années.

 

Bruno Lamarche a vite relevé les erreurs de ce premier standard, mais il a fallu ensuite des années de démarche insistante auprès du SLAG, club dépositaire du standard, pour obtenir les modifications bien justifiées.

 

A propos du caractère arbitraire d'un standard.

On sait bien que tout standard dresse l'état des lieux d'un stock génétique présentant une relative homogénéité à partir de la combinaison de deux séries de facteurs :

- l'adaptation à un milieu naturel (qui peut conduire à constituer un isolat génétique),

- et l'intervention de l'homme qui, par la sélection, projette ses besoins économiques et ses valeurs, ses croyances, ses critères de beauté.

Le standard ayant pour fonction de geler et de pérenniser le phénotype obtenu.

 

En enquêtant auprès des éleveurs-chasseurs de la vallée de l'Azawakh, et en soumettant à leur appréciation des photos et des dessins, nous avons eu confirmation du caractère relatif, arbitraire, de tout standard; ce qui nous permet d'oser confier que nous, cynophiles européens, avons apporté la dernière couche à ce document devenu officiel en Europe. Oui, le standard actuel est marqué aussi par notre subjectivité. C'est l'empreinte de notre passion !

 

 

Énumérons quelques-unes des "fantaisies" que nous avions prises pour argent comptant, et inscrites dans une des épures du standard, avant 1981 :

 

- l'obligation d'au moins un ongle noir par membre. En fait, la griffe mélaninée étant plus dure sera plus résistante à la course sur un sol rocheux;

 

- une lignée "noble" n'a que un ou deux chiots par portée. On sait que l'obésité des femmes tourègues imajeren ("nobles") les rend parfois stériles et souvent peu prolifiques. Cette exigence pour le chien semble être la pure projection d'un constat fait dans la société, renforcé d'une croyance. Mais en fait, la sous-nutrition des lices peut provoquer des avortements spontanés;

 

- ce chien est un "élément d'apparat", phrase encore présente dans une version récente du standard. André Chaventré, qui avait travaillé chez les Imajeren (nobles), avait même précisé "élément de blason", véritable projection ethnocentrique. Cela fait sourire quand on sait que les Imajeren (comme les Ineslemen,maraboutiques) ne chassent pas, et expriment du mépris pour le chien;

 

- quand on le suspend par la peau du dos le chien "noble" ne doit pas se plaindre;

 

- etc... c'est un vrai bêtisier que l'on pourrait ici dresser...

 

Le dernier écueil rencontré et évité dans le pilotage de notre standard a été la tentation d'admettre et de produire les robes diluées. Cette production a été amorcée dans au moins un élevage en Europe, malgré la non-conformité au standard.

Ce périlleux avatar fait l'objet d'un autre article de ce blog. 

Mais soyons rassurés : le club exerçant la tutelle sur la race vient de rétablir l'ordre en classant la dilution parmi les défauts éliminatoires.

 

                                                                         (à suivre...)                                                            



02/03/2011
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